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Du questionnement à la connaissance par la voie de
l'expérience et de l'investigation
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Ce
3e colloque académique école primaire du département des
Alpes-Maritimes consacré aux sciences à l'école a connu un
grand succès : plus de 800 participants. Un colloque dont
l'invité d'honneur était Georges Charpak.
Après avoir été accueillis par l'inspecteur
d'académie et un représentant de la mairie d'Antibes, les
participants du colloque assistent aux interventions
successives de Georges Charpak, prix Nobel 1992, et de
Jean-Pierre Sarmant, inspecteur général de l'Éducation
nationale et président du Plan de rénovation de l'enseignement
des sciences et de la technologie à l'école (Preste). Ces
interventions sont suivies d'un débat.
La main à la pâte
Georges Charpak évoque tout
d'abord avec un humour souvent incisif les prémices
américaines bien connues de La main à la pâte (« Hands
on »). Il informe de la diffusion la plus récente du
dispositif lamap : en Chine, en Colombie à Bogota et
auprès d'Indiens d'Amazonie, dont les ordinateurs fonctionnent
à l'énergie solaire. Le site de « lamap » prend donc
une dimension internationale. Pour
l'éminent professeur, La main à la pâte ne relève pas d'un
enseignement disciplinaire des sciences, mais d'une méthode
d'enseignement fondée sur l'investigation libre, l'échange et
le respect, pouvant largement concerner d'autres disciplines
et même s'étendre à la grille de lecture du monde. En
stimulant l'esprit critique, on évite ainsi de se laisser
envahir passivement par les objets techniques ou, pire, de se
« faire rouler » par de fausses sciences. Des
enquêtes montrent en effet que la croyance au paranormal et à
l'astrologie est proportionnelle au niveau d'études (!), mêmes
scientifiques, et qu'en France 3 000 médecins adhèrent à
des sectes.
Le Preste
Jean-Pierre Sarmant, lui,
rappelle que le Preste, dont lamap est le pôle innovant, en
est à la moitié de son existence puisqu'il s'agit d'un plan de
trois ans. D'où l'importance de tout mettre en œuvre pour
réussir son application nationale. L'inspecteur général donne ensuite quelques
informations sur les outils pédagogiques qui sont ou seront
mis à la disposition des maîtres :
une sélection de 101 références régulièrement réactualisée
(papier, vidéo, cédéroms, sites Internet) est disponible sur
le site du CNDP ;
des fiches connaissances sont en ligne sur les trois sites
officiels du Plan (Eduscol, lamap, le site du CNDP) ;
un ouvrage d'accompagnement du Plan, proposant des
séquences d'activités sur des thèmes et prenant en compte les
nouveaux programmes, sera mis à la disposition des enseignants
à partir de la rentrée prochaine. Il est le fruit d'une
collaboration étroite entre les différents partenaires du Plan
(le ministère, l'Académie des sciences, La main à la pâte).
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Jean-Pierre Sarmant fait un
premier bilan sur le dispositif et les
orientations du Preste.
© CDDP des Alpes-Maritimes
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| Jean-Pierre Sarmant
insiste sur le fait que, pour rester efficaces et applicables,
les objectifs de connaissances doivent être simples, voire
modestes, mais bien mis en œuvre. Par exemple l'eau, thème
vertical, peut être abordé de la maternelle à l'université.
Aussi est-il très important, pour chaque thème, de bien en
connaître et en respecter les limites, et donc de se fonder
sur les fiches connaissances - fiches qui peuvent être
appelées à servir de référentiel pour les concours de
recrutement. Il est également
pertinent de commencer l'enseignement scientifique en
l'adaptant au cycle 1. En effet, dès l'âge de trois ans les
enfants ont une curiosité, une ouverture au monde qu'il serait
dommage de ne pas mettre en valeur. Enfin, il a été décidé de ne pas séparer les
sciences de la technologie et de ne pas introduire de «
barrières de disciplines » comme l'astronomie ou la zoologie.
L'éveil scientifique forme un tout homogène.
Débat
La représentation des
femmes dans les instances scientifiques Dans le débat qui suit ces deux interventions, une
enseignante se désole de « l'absence de femmes à la
tribune » : fâcheuse coïncidence, lui
répond-on ; une des tables rondes de l'après-midi sera
animée par une dame ; mais c'est aussi le signe d'une
représentation encore trop faible des femmes dans les
instances scientifiques et le reflet d'une certaine inertie
sociale à combattre.
Les parasciences
Une autre enseignante est
désemparée face à la prégnance de l'astrologie et d'autres
« parasciences » dans l'esprit des enfants :
que leur dire ? Jean-Pierre
Sarmant précise qu'un groupe de travail, dont il fait partie,
réfléchit au sujet : la position du ministère devra
s'afficher clairement. Quant à Georges Charpak, il prépare
avec Henri Broch (professeur d'université à Sofia Antipolis)
un ouvrage où l'on trouvera plein de recettes passionnantes,
par exemple : « comment marcher sur des braises ou
tordre des cuillers ». De quoi distraire ses proches et
les impressionner par ses « pouvoirs
paranormaux » !
Tables rondes de
l'après-midi
État d'avancement du Preste
Table ronde animée par Patrick
Demougeot, IA-IPR. Participants : Monique Grattarola, IEN, Michel
Medez, IEN, Isabel Lavarec, professeur à l'IUFM de Nice, et
Jean-Pierre Sarmant dans le rôle du commentateur.
L'état
d'avancement du Preste est évoqué au niveau de l'académie de
Nice, puis du département (Var), de l'école (projet
d'établissement) et de la classe (exemples d'actions
présentées par des enseignants). Un questionnaire a été adressé aux enseignants
avant le colloque : 25 % des écoles y ont répondu.
Dans 75 % de ces écoles, l'enseignement des sciences est
pratiqué en utilisant les TICE (60 %) et en disposant
d'une salle de sciences (10 %). Mais l'observation libre
passe en troisième position derrière l'observation guidée et
la lecture de documents, ce qui contredit l'esprit lamap. Il
est vrai que certains thèmes, comme le ciel, se prêtent plus
difficilement à une expérimentation systématique.
Au cours de cette table ronde, des
enseignants présentent leurs actions dans les classes (y
compris cycle 1). À ce sujet, il est précisé que l'académie
dispose de trois enseignants à temps plein pour se déplacer à
la demande dans les écoles afin d'aider à la mise en œuvre du
Preste.
Rénovation de
l'enseignement des sciences et de la technologie à l'école,
obstacles et leviers Table ronde
animée par Marie-France Bacchialoni, IA-IPR. Participants : Jean-Claude Hubi, directeur du
CRDP de Nice, Henri Broch, Serge Tricoire, professeur IUFM de
Nice, Georges Charpak et Jean-Pierre Sarmant.
Le
point sur la question
Quelles sont les
résistances à l'enseignement des sciences, et d'ailleurs,
pourquoi les enseigner ? Il semble que la confiance
sereine dans la science, socle du progrès et même du bonheur
humain, se soit effritée à la suite du carnage de la guerre de
14-18. Actuellement en effet, avec Tchernobyl, la vache folle,
le clonage ou les OGM, la science offre à beaucoup d'entre
nous une image anxiogène. Les
fausses sciences font le plein d'adeptes : Henri Broch
précise que, d'après un sondage, 58 % des personnes
interrogées classent l'astrologie dans les sciences et que,
selon un autre sondage, réalisé par Eurobaromètre auprès de
16 000 personnes, les médias donnent une image trop
négative de la science. Or, force est de constater que
maintenant les savoirs des jeunes se constituent pour une
grande part en dehors de l'école, par Internet ou les cédéroms
éducatifs grand public, notamment. On ne peut que déplorer que
des émissions scientifiques de grande qualité comme
« C'est pas sorcier 1» ne soient pas diffusées le
soir en prime-time. Marie-France
Bacchialoni a insisté précisément sur l'importance de recenser
clairement les ressources validées parfois insuffisamment
connues, afin de faciliter leur diffusion : il peut
s'agir d'outils « clé en main » destinés à donner
confiance à des enseignants encore hésitants devant les
nouvelles méthodes d'enseignement des sciences. Ces
enseignants s'approprient ensuite à leur manière les outils
proposés, car « guider n'est pas entraver ».
Jean-Claude Hubi rappelle à ce
sujet la richesse de l'offre du CNDP et des CRDP, avec par
exemple la sélection « 101 références » et son
cédérom de présentation réalisé par le CRDP de Nice, qui
montre treize extraits vidéo, facilitant le choix des
enseignants.
Pourquoi enseigner les
sciences ?
Jean-Claude Hubi se
pose une question fondamentale : « Pourquoi
enseigner les sciences ? », question à laquelle
Messieurs Charpak et Sarmant ont déjà apporté leurs réponses.
Pour le directeur du CRDP, il n'y
a pas de scission entre les lettres, les arts et les sciences,
disciplines largement solidaires ; d'ailleurs, les
enseignants de chaque discipline ne doivent jamais s'interdire
de diffuser le message de la méthode scientifique qui a valeur
de formation universelle. Ils doivent, quand c'est nécessaire,
redresser les erreurs de représentation chez les enfants, et
ne pas les laisser s'installer, au nom d'un certain consensus
vague sur le respect des cultures et des religions.
La science est pour l'Homme
presque une raison de vivre, car vouloir comprendre le monde
le caractérise, et ce, depuis le plus jeune âge. D'où
l'importance d'enseigner les sciences dès le cycle 1, comme
l'a rappelé Jean-Pierre Sarmant. Pourtant, la science semble s'éloigner de nous car
elle n'est plus visible : au temps de Jules Verne, les
perfectionnements mécaniques des machines étaient
spectaculaires et démonstratifs. Actuellement, on ne voit
rien : le gène, l'ordinateur, le téléphone portable ont
un mode de fonctionnement opaque, presque
« magique », et sur ces « boîtes noires »
la magie peut justement proliférer.
La
science et les médias
Il faut absolument
éduquer l'enfant pour qu'il s'approprie son futur, qu'il sache
différencier l'opinion (connaissance non formelle, non
vérifiée ni vérifiable) de la conviction (connaissance
critiquée et vérifiée) ; « la science ne détient
d'ailleurs pas la vérité mais a un rapport privilégié à la
vérité », dit Jean-Pierre Sarmant. Il faut non seulement familiariser avec les
sciences et les techniques, mais aussi impérativement éduquer
aux médias, à Internet, et ce, dès le premier cycle et
jusqu'aux études supérieures. Peut-être le ministère
devrait-il proposer un « tableau A » des croyances à
combattre, dont l'astrologie. Pour
Georges Charpak, il est important d'insister sur la dimension
probabiliste des expériences. Ainsi, des physiciens chevronnés
peuvent-ils croire découvrir « par hasard » des
particules nouvelles dont l'existence ne sera plus jamais
confirmée. D'après lui, dans les programmes, les statistiques
devraient être massivement présentes, car le bon chercheur est
celui qui sait reconnaître la part du hasard. Jean-Claude Hubi note à ce propos que les
mathématiques n'ont jusqu'à présent pas été évoquées, et il le
déplore ; Marie-France Bacchialoni répond que la science
doit tout d'abord se chercher un mode d'expression largement
accessible. Georges Charpak
constate que dans les médias on laisse souvent « parler
n'importe qui sur n'importe quoi », et que c'est ainsi
que la désinformation s'installe. Mais il ne faut pas
désespérer quant à l'emprise des fausses sciences : ce
n'est pas parce que chacun d'entre nous manifeste à un moment
ou à un autre de légers comportements superstitieux, que nous
sommes tous réfractaires aux sciences. L'essentiel est donc de
fournir « des outils qui ne soient pas des pièges
grossiers ».
Synthèse Robert Clarimon, inspecteur d'académie (Var) a été
chargé par Bernard Saint-Girons, recteur de l'académie de
Nice, de la synthèse des travaux de la journée.
Il ressort de ce colloque que
l'enseignement rénové des sciences se justifie largement par
l'analogie psychologique entre le chercheur et l'enfant qui
disposent de la même propension à s'émerveiller et à
s'interroger face à leur environnement. De plus, l'enjeu de cet enseignement dépasse
largement la discipline elle-même, car cette méthode de
questionnement peut être élargie à toute discipline. En
forgeant un citoyen responsable et éclairé, elle fortifie
l'esprit démocratique. Il reste
essentiel, ce qui est le cas de la réforme en primaire, de ne
pas étiqueter les sciences en catégories disciplinaires
séparées, d'autant plus que s'y greffe la maîtrise des
langages.
Conclusion
Bernard Saint-Girons prend à son
tour la parole pour clore ce colloque. Il remercie tout
d'abord Yvon Deverre, IEN, qui fut l'initiateur et le
concepteur de cette journée, puis Georges Charpak, qui a
honoré cette journée de sa participation si active, ainsi que
Jean-Pierre Sarmant ; en effet, une coïncidence de
calendrier a voulu que ce jour fût précisément celui où Jack
Lang, ministre de l'Éducation nationale, présentait à la
presse le projet de rénovation des programmes de
l'enseignement primaire. Avec trois axes forts : arts et
cultures, langues vivantes, sciences et technologie, ces
nouveaux programmes sont exigeants. En ce qui concerne les sciences, deux enjeux
s'imposent : d'une part, même à l'échelle européenne, on
constate une certaine désaffection pour les sciences et on
redoute à terme un manque de scientifiques : il s'agit de
former « des mélomanes et quelques bons musiciens ».
Second enjeu :
l'apprentissage de l'autonomie, l'élève acteur de sa propre
formation, le plus tôt possible, mais aussi en collège et en
lycée, avec l'importance prise par la pratique expérimentale.
Les enfants y apprennent la relativité des faits, la
confrontation, la richesse potentielle de l'erreur, la
modestie, tous savoir-faire et savoir-être utiles à la
formation du citoyen. Enfin, cette
évolution profonde de l'école va changer le métier de
professeur mais aussi celui de l'inspection. C'est le rôle des
inspecteurs de porter le message du développement de
l'enseignement des sciences à l'école, et tout
particulièrement de répondre aux attentes de terrain des
« néo-recrutés ». C'est un objectif si important
qu'il pourrait à lui seul faire l'objet d'un prochain
colloque.
Françoise Badoux et Jean-Claude Arrougé
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