« Les sciences à l’école »
3e colloque école de l'académie de Nice
(20 février 2002, Palais des congrès d’Antibes)
 
 
 
Du questionnement à la connaissance par la voie de l'expérience et de l'investigation

Ce 3e colloque académique école primaire du département des Alpes-Maritimes consacré aux sciences à l'école a connu un grand succès : plus de 800 participants. Un colloque dont l'invité d'honneur était Georges Charpak.

Après avoir été accueillis par l'inspecteur d'académie et un représentant de la mairie d'Antibes, les participants du colloque assistent aux interventions successives de Georges Charpak, prix Nobel 1992, et de Jean-Pierre Sarmant, inspecteur général de l'Éducation nationale et président du Plan de rénovation de l'enseignement des sciences et de la technologie à l'école (Preste). Ces interventions sont suivies d'un débat.
La main à la pâte
Georges Charpak évoque tout d'abord avec un humour souvent incisif les prémices américaines bien connues de La main à la pâte (« Hands on »). Il informe de la diffusion la plus récente du dispositif lamap : en Chine, en Colombie à Bogota et auprès d'Indiens d'Amazonie, dont les ordinateurs fonctionnent à l'énergie solaire. Le site de « lamap » prend donc une dimension internationale.
Pour l'éminent professeur, La main à la pâte ne relève pas d'un enseignement disciplinaire des sciences, mais d'une méthode d'enseignement fondée sur l'investigation libre, l'échange et le respect, pouvant largement concerner d'autres disciplines et même s'étendre à la grille de lecture du monde. En stimulant l'esprit critique, on évite ainsi de se laisser envahir passivement par les objets techniques ou, pire, de se « faire rouler » par de fausses sciences. Des enquêtes montrent en effet que la croyance au paranormal et à l'astrologie est proportionnelle au niveau d'études (!), mêmes scientifiques, et qu'en France 3 000 médecins adhèrent à des sectes.
Le Preste
Jean-Pierre Sarmant, lui, rappelle que le Preste, dont lamap est le pôle innovant, en est à la moitié de son existence puisqu'il s'agit d'un plan de trois ans. D'où l'importance de tout mettre en œuvre pour réussir son application nationale.
L'inspecteur général donne ensuite quelques informations sur les outils pédagogiques qui sont ou seront mis à la disposition des maîtres :
  • une sélection de 101 références régulièrement réactualisée (papier, vidéo, cédéroms, sites Internet) est disponible sur le site du CNDP ;
  • des fiches connaissances sont en ligne sur les trois sites officiels du Plan (Eduscol, lamap, le site du CNDP) ;
  • un ouvrage d'accompagnement du Plan, proposant des séquences d'activités sur des thèmes et prenant en compte les nouveaux programmes, sera mis à la disposition des enseignants à partir de la rentrée prochaine. Il est le fruit d'une collaboration étroite entre les différents partenaires du Plan (le ministère, l'Académie des sciences, La main à la pâte).
  • Jean-Pierre Sarmant fait un premier bilan sur le dispositif et les orientations du Preste.
    © CDDP des Alpes-Maritimes


    Jean-Pierre Sarmant insiste sur le fait que, pour rester efficaces et applicables, les objectifs de connaissances doivent être simples, voire modestes, mais bien mis en œuvre. Par exemple l'eau, thème vertical, peut être abordé de la maternelle à l'université. Aussi est-il très important, pour chaque thème, de bien en connaître et en respecter les limites, et donc de se fonder sur les fiches connaissances - fiches qui peuvent être appelées à servir de référentiel pour les concours de recrutement.
    Il est également pertinent de commencer l'enseignement scientifique en l'adaptant au cycle 1. En effet, dès l'âge de trois ans les enfants ont une curiosité, une ouverture au monde qu'il serait dommage de ne pas mettre en valeur.
    Enfin, il a été décidé de ne pas séparer les sciences de la technologie et de ne pas introduire de « barrières de disciplines » comme l'astronomie ou la zoologie. L'éveil scientifique forme un tout homogène.

    Débat
    La représentation des femmes dans les instances scientifiques
    Dans le débat qui suit ces deux interventions, une enseignante se désole de « l'absence de femmes à la tribune » : fâcheuse coïncidence, lui répond-on ; une des tables rondes de l'après-midi sera animée par une dame ; mais c'est aussi le signe d'une représentation encore trop faible des femmes dans les instances scientifiques et le reflet d'une certaine inertie sociale à combattre.
    Les parasciences
    Une autre enseignante est désemparée face à la prégnance de l'astrologie et d'autres « parasciences » dans l'esprit des enfants : que leur dire ?
    Jean-Pierre Sarmant précise qu'un groupe de travail, dont il fait partie, réfléchit au sujet : la position du ministère devra s'afficher clairement. Quant à Georges Charpak, il prépare avec Henri Broch (professeur d'université à Sofia Antipolis) un ouvrage où l'on trouvera plein de recettes passionnantes, par exemple : « comment marcher sur des braises ou tordre des cuillers ». De quoi distraire ses proches et les impressionner par ses « pouvoirs paranormaux » !
    Tables rondes de l'après-midi
    État d'avancement du Preste
    Table ronde animée par Patrick Demougeot, IA-IPR.
    Participants : Monique Grattarola, IEN, Michel Medez, IEN, Isabel Lavarec, professeur à l'IUFM de Nice, et Jean-Pierre Sarmant dans le rôle du commentateur.

    L'état d'avancement du Preste est évoqué au niveau de l'académie de Nice, puis du département (Var), de l'école (projet d'établissement) et de la classe (exemples d'actions présentées par des enseignants).
    Un questionnaire a été adressé aux enseignants avant le colloque : 25 % des écoles y ont répondu. Dans 75 % de ces écoles, l'enseignement des sciences est pratiqué en utilisant les TICE (60 %) et en disposant d'une salle de sciences (10 %). Mais l'observation libre passe en troisième position derrière l'observation guidée et la lecture de documents, ce qui contredit l'esprit lamap. Il est vrai que certains thèmes, comme le ciel, se prêtent plus difficilement à une expérimentation systématique.
    Au cours de cette table ronde, des enseignants présentent leurs actions dans les classes (y compris cycle 1). À ce sujet, il est précisé que l'académie dispose de trois enseignants à temps plein pour se déplacer à la demande dans les écoles afin d'aider à la mise en œuvre du Preste.
    Rénovation de l'enseignement des sciences et de la technologie à l'école, obstacles et leviers
    Table ronde animée par Marie-France Bacchialoni, IA-IPR.
    Participants : Jean-Claude Hubi, directeur du CRDP de Nice, Henri Broch, Serge Tricoire, professeur IUFM de Nice, Georges Charpak et Jean-Pierre Sarmant.

    Le point sur la question

    Quelles sont les résistances à l'enseignement des sciences, et d'ailleurs, pourquoi les enseigner ? Il semble que la confiance sereine dans la science, socle du progrès et même du bonheur humain, se soit effritée à la suite du carnage de la guerre de 14-18. Actuellement en effet, avec Tchernobyl, la vache folle, le clonage ou les OGM, la science offre à beaucoup d'entre nous une image anxiogène.
    Les fausses sciences font le plein d'adeptes : Henri Broch précise que, d'après un sondage, 58 % des personnes interrogées classent l'astrologie dans les sciences et que, selon un autre sondage, réalisé par Eurobaromètre auprès de 16 000 personnes, les médias donnent une image trop négative de la science. Or, force est de constater que maintenant les savoirs des jeunes se constituent pour une grande part en dehors de l'école, par Internet ou les cédéroms éducatifs grand public, notamment. On ne peut que déplorer que des émissions scientifiques de grande qualité comme « C'est pas sorcier 1» ne soient pas diffusées le soir en prime-time.
    Marie-France Bacchialoni a insisté précisément sur l'importance de recenser clairement les ressources validées parfois insuffisamment connues, afin de faciliter leur diffusion : il peut s'agir d'outils « clé en main » destinés à donner confiance à des enseignants encore hésitants devant les nouvelles méthodes d'enseignement des sciences. Ces enseignants s'approprient ensuite à leur manière les outils proposés, car « guider n'est pas entraver ».
    Jean-Claude Hubi rappelle à ce sujet la richesse de l'offre du CNDP et des CRDP, avec par exemple la sélection « 101 références » et son cédérom de présentation réalisé par le CRDP de Nice, qui montre treize extraits vidéo, facilitant le choix des enseignants.

    Pourquoi enseigner les sciences ?

    Jean-Claude Hubi se pose une question fondamentale : « Pourquoi enseigner les sciences ? », question à laquelle Messieurs Charpak et Sarmant ont déjà apporté leurs réponses.
    Pour le directeur du CRDP, il n'y a pas de scission entre les lettres, les arts et les sciences, disciplines largement solidaires ; d'ailleurs, les enseignants de chaque discipline ne doivent jamais s'interdire de diffuser le message de la méthode scientifique qui a valeur de formation universelle. Ils doivent, quand c'est nécessaire, redresser les erreurs de représentation chez les enfants, et ne pas les laisser s'installer, au nom d'un certain consensus vague sur le respect des cultures et des religions.
    La science est pour l'Homme presque une raison de vivre, car vouloir comprendre le monde le caractérise, et ce, depuis le plus jeune âge. D'où l'importance d'enseigner les sciences dès le cycle 1, comme l'a rappelé Jean-Pierre Sarmant.
    Pourtant, la science semble s'éloigner de nous car elle n'est plus visible : au temps de Jules Verne, les perfectionnements mécaniques des machines étaient spectaculaires et démonstratifs. Actuellement, on ne voit rien : le gène, l'ordinateur, le téléphone portable ont un mode de fonctionnement opaque, presque « magique », et sur ces « boîtes noires » la magie peut justement proliférer.

    La science et les médias

    Il faut absolument éduquer l'enfant pour qu'il s'approprie son futur, qu'il sache différencier l'opinion (connaissance non formelle, non vérifiée ni vérifiable) de la conviction (connaissance critiquée et vérifiée) ; « la science ne détient d'ailleurs pas la vérité mais a un rapport privilégié à la vérité », dit Jean-Pierre Sarmant.
    Il faut non seulement familiariser avec les sciences et les techniques, mais aussi impérativement éduquer aux médias, à Internet, et ce, dès le premier cycle et jusqu'aux études supérieures. Peut-être le ministère devrait-il proposer un « tableau A » des croyances à combattre, dont l'astrologie.
    Pour Georges Charpak, il est important d'insister sur la dimension probabiliste des expériences. Ainsi, des physiciens chevronnés peuvent-ils croire découvrir « par hasard » des particules nouvelles dont l'existence ne sera plus jamais confirmée. D'après lui, dans les programmes, les statistiques devraient être massivement présentes, car le bon chercheur est celui qui sait reconnaître la part du hasard.
    Jean-Claude Hubi note à ce propos que les mathématiques n'ont jusqu'à présent pas été évoquées, et il le déplore ; Marie-France Bacchialoni répond que la science doit tout d'abord se chercher un mode d'expression largement accessible.
    Georges Charpak constate que dans les médias on laisse souvent « parler n'importe qui sur n'importe quoi », et que c'est ainsi que la désinformation s'installe. Mais il ne faut pas désespérer quant à l'emprise des fausses sciences : ce n'est pas parce que chacun d'entre nous manifeste à un moment ou à un autre de légers comportements superstitieux, que nous sommes tous réfractaires aux sciences. L'essentiel est donc de fournir « des outils qui ne soient pas des pièges grossiers ».
    Synthèse
    Robert Clarimon, inspecteur d'académie (Var) a été chargé par Bernard Saint-Girons, recteur de l'académie de Nice, de la synthèse des travaux de la journée.
    Il ressort de ce colloque que l'enseignement rénové des sciences se justifie largement par l'analogie psychologique entre le chercheur et l'enfant qui disposent de la même propension à s'émerveiller et à s'interroger face à leur environnement.
    De plus, l'enjeu de cet enseignement dépasse largement la discipline elle-même, car cette méthode de questionnement peut être élargie à toute discipline. En forgeant un citoyen responsable et éclairé, elle fortifie l'esprit démocratique.
    Il reste essentiel, ce qui est le cas de la réforme en primaire, de ne pas étiqueter les sciences en catégories disciplinaires séparées, d'autant plus que s'y greffe la maîtrise des langages.

    Conclusion
    Bernard Saint-Girons prend à son tour la parole pour clore ce colloque. Il remercie tout d'abord Yvon Deverre, IEN, qui fut l'initiateur et le concepteur de cette journée, puis Georges Charpak, qui a honoré cette journée de sa participation si active, ainsi que Jean-Pierre Sarmant ; en effet, une coïncidence de calendrier a voulu que ce jour fût précisément celui où Jack Lang, ministre de l'Éducation nationale, présentait à la presse le projet de rénovation des programmes de l'enseignement primaire. Avec trois axes forts : arts et cultures, langues vivantes, sciences et technologie, ces nouveaux programmes sont exigeants.
    En ce qui concerne les sciences, deux enjeux s'imposent : d'une part, même à l'échelle européenne, on constate une certaine désaffection pour les sciences et on redoute à terme un manque de scientifiques : il s'agit de former « des mélomanes et quelques bons musiciens ».
    Second enjeu : l'apprentissage de l'autonomie, l'élève acteur de sa propre formation, le plus tôt possible, mais aussi en collège et en lycée, avec l'importance prise par la pratique expérimentale. Les enfants y apprennent la relativité des faits, la confrontation, la richesse potentielle de l'erreur, la modestie, tous savoir-faire et savoir-être utiles à la formation du citoyen.
    Enfin, cette évolution profonde de l'école va changer le métier de professeur mais aussi celui de l'inspection. C'est le rôle des inspecteurs de porter le message du développement de l'enseignement des sciences à l'école, et tout particulièrement de répondre aux attentes de terrain des « néo-recrutés ». C'est un objectif si important qu'il pourrait à lui seul faire l'objet d'un prochain colloque.

    Françoise Badoux et Jean-Claude Arrougé




    © CNDP - École - Sciences et technologie
    Avril 2002 - Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, privé ou scolaire.